Une journée dans la vie d’Antananarivo
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6 heures du matin, Antananarivo se lève. Les marchands envahissent le marché des “pavillons”, seule portion de marché rescapée de l’ancien Zoma, jadis l’un des plus grands marchés du monde, qui se déployaient tout au long de la rue de l’Indépendance. Après une nuit de calme, le trafic reprend son droit. Une odeur âpre et désagréable de pot d’échappement se faufile rapidement dans les maisons, et prend à la gorge les insomniaques du matin. Les chiens, fatigués d’avoir aboyés toute la nuit, se taisent et disparaissent et laissent place à la cohue quotidienne des passants, vendeurs de bric-à-brac, mendiants, enfants, travailleurs, hommes d’affaires, changeurs d’argent, vendeurs de journaux et de cigarettes… Le soleil réchauffe rapidement les chauffeurs de taxi encore endormis dans leur vieille 2CV ou 4L d’avant guerre, rafistolées à volonté, qui ne roulent que par la grâce des ancêtres. Prendre un taxi à Tana, c’est commencer par s’arrêter à une des nombreuses stations services, où le chauffeur remplira son réservoir – souvent une bouteille placée à l’avant de la voiture d’où sort un tuyau qui part alimenter le moteur – de la quantité exacte de carburant nécessaire au parcours demandé par le client. Puis, dés que la rue atteint un degré d’inclinaison favorable, le moteur est coupé afin de profiter au maximum de la pente offerte. Les chauffeurs de taxi sont les rois du juste-à-temps et de la réduction des coûts ! Les prostituées ont disparu, le Caveau a cessé de cracher sa musique du haut de la colline d’Antaninarenina, les premiers rayons de soleil laissent découvrir les ruines du Palais de la Reine, ravagé par un gigantesque incendie il y a quelques années (criminel ou accidentel ?). Le roi Radama 1er a dû se retourner dans sa tombe…

En novembre, les jacarandas sont en fleurs autour du lac Anosy, ces pétales violets qui ont la particularité de retenir l’eau de pluie et de continuer l’averse même lorsque les nuages ont disparu. Le Mémorial à la gloire des malgaches morts pour la France – à l’époque où leur cours d’histoire à l’école commençait par “nos ancêtres les gaulois” – trône au milieu du lac, entre le Palais Présidentiel d’Ambotsirohitra (ancienne Résidence de France), le quartier des ministères et le Hilton Madagascar, haut lieu de rendez-vous des hommes d’affaires et des consultants internationaux. Il règne une ambiance de sérénité à Antananarivo, “Tana” pour les intimes, la ville aux 12 collines saintes, 1 500 000 habitants dont une majorité doit lutter quotidiennement pour survivre. Malgré la difficulté de la vie, le sourire est toujours là comme la bonne humeur, l’humour, le calme. Tana, il n’y a pas si longtemps très sale, fût nettoyée par l’ancien maire de la ville, devenu maintenant Président de la République, et qui s’atèle actuellement à la lourde tâche de nettoyer le pays tout entier…de la corruption. Cette corruption, rampante, galopante, qui a longtemps miné tous les espoirs de développement, cassé les bonnes volontés, tué de nombreux projets, de nombreuses idées… Tana est une petite ville, ou plutôt un gros village. De n’importe quel point de la ville haute, on discerne facilement les collines environnantes, la campagne n’est pas loin, les rizières commencent en bordure de la ville. Et puis, on se connaît. Ou on se reconnaît, on s’est déjà vu ou on a des connaissances communes, des liens communs, établis par l’intermédiaire de son ancien lycée ou collège, par un ancien employeur, par son église, son club, son quartier… La Haute Ville, imbrication de maisons et de maisonnettes aux couleurs coloniales mélangées à l’architecture traditionnelle, rappellent en certains coins les toits de Toulouse, en d’autres les ruelles de villages de Provence, mais toujours cette impression de calme et de sérénité.

La grandeur passée de Tana, avant l’indépendance, avant l’arrivée de la circulation routière, avant l’arrivée de ces milliers de mendiants dénués de tout, dormant dans les tunnels ou sous des sacs en plastique au coin d’une rue, hantant Tana de nuit comme de jour à la recherche d’une pièce, d’un biscuit, d’un fruit ou du “lait pour le bébé”, avant le perçage des tunnels, avant la construction de ces quartiers périphériques tels que les 67 Hectares et des bâtiments modernes de la ville basse, cette grandeur passée peut se retrouver, avec un peu d’imagination, lors d’une flânerie dans les ruelles montantes de la ville Haute, seul endroit où il est possible d’échapper la journée à cette odeur de carburant mal raffiné. Tana est une capitale campagnarde. La campagne est proche, les paysans sont nombreux, devenus pauvres, fuyant la sécheresse des régions du Sud, arrivant par dizaines de milliers en quête d’espoir d’une meilleure vie, arborant le fameux tee-shirt de propagande à l’effigie du Président Marc Ravalomanana, distribué gratuitement à des millions de malgaches pendant la campagne présidentielle, bout de tissu qui pour certain représente le seul haillon qui tient encore la peau, oh malheureux exode rural, source infinie de pauvreté. 18 heures. La nuit tombe, Tana se vide, les habitants rentrent chez eux. Tana vit le jour à l’extérieur et la nuit à l’intérieur, dans l’intimité familiale, ce qui contraste pleinement avec les Côtes, dont les rues s’animent à la nuit tombante. Les restaurants ouvrent leurs portes, tout comme les tunnels et arcades de la rue de l’Indépendance accueillent les sans abris à la recherche d’un peu de chaleur alors que l’hiver approche. Seuls quelques vendeurs de brochettes animent un petit coin d’Analakely. De loin, Tana ressemble à un village, tant les lumières semblent éparpillées sur la colline. Les chiens se réveillent, les prostitués sortent de leur tanière, le trafic se fait rare, on rentre chez soi, Tana s’enfonce dans la nuit.

Antananarivo, le 20 mai 2003

Juldu